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Journal de bord #6 : La tempête fait des vagues

Au creux de la vague

Mardi 14 mai – JOUR 5. Après mon shift de nuit, le baromètre a chuté dramatiquement de 1015 à 1005 hectopascals. Bad news. La houle est montée au-delà de 5 mètres, avec un vent à 60 nœuds. Nous voilà au cœur de la tempête désormais surnommée « la bête ».


À deux heures du matin, les trois hommes enfilent leurs combinaisons imperméables et se harnachent au pont pour lâcher les pneus qui nous servent de frein. La houle est trop dangereuse, une mauvaise vague pourrait faire basculer le bateau. Ils font face à des vagues qui, mesurées depuis le creux, atteignent 15 mètres. Ils descendent toutes les voiles et coupent le moteur. La stratégie des pneus ne marche pas, le Shard peine à se tourner face au vent et aux vagues. Darren et Stéphane doivent hisser les pneus hors de l’eau et les entourer de chaînes afin qu’ils soient plus lourds et puissent retenir le poids du bateau.


Je vis assez mal le fait de ne pas pouvoir aider dehors, mais rien ne sert d’encombrer le pont et je ne suis pas assez forte pour tirer un pneu rempli d’eau. Les hommes ont déjà beaucoup de mal à se maintenir dans le bateau, manquerait plus que je passe par dessus bord! Du coup j’observe la scène depuis l’intérieur. Tout ce que je vois sont des membres qui semblent voler d’un côté à l’autre : un pied à bâbord, un bras à tribord, la tête encapuchonnée de Darren au-dessus de moi. Il est couché à plat ventre et Stéphane le retient par les jambes. J’entend leurs pas qui galopent de la proue à la poupe, le grondement des vagues qu’ils affrontent et les sifflements incessants du gréement métallique, comme un fantôme qui hante le bateau. Le tout est faiblement éclairé d’une lueur inexplicable, la lune étant invisible derrière la couche de nuages noirs.


On passe la nuit en stand-by, sursautant toutes les deux minutes comme des crêpes dans une poêle. Le vent fait toujours siffler l’armature et la coque craque tellement fort qu’on se demande quand même si elle pourrait potentiellement lâcher. On se retrouve plaqués contre le mur à bâbord avec une telle violence qu’on s’attend franchement à ce que le bateau se retourne. Bien au-delà d’être effrayante, la sensation de ce mouvement incessant est électrisante. J’ai vraiment l’impression d’être chargée en électricité statique, comme un pull de laine sorti du sèche-linge.


On dort peu, mais on finit bien par s’assoupir d’épuisement. Au réveil, la tension est palpable. Finis les shifts, plus besoin de regarder quoi que ce soit. Il n’y a plus qu’à dormir, manger, et attendre que ça passe. On essaye d’obtenir des infos par le biais de Mike, mais ses indications manquent encore et toujours de clarté.

Patience et réparations

Dans la nuit, une grosse vague a submergé la poupe, cassant un cache. Avec la pression, l’eau s’est engouffrée dans le tuyau d’aération et a noyé le moteur. Ross aboie des ordres, Stéphane écope, je passe des outils et Darren répare.


Vers 15h la météo s’est à peine calmée. Le soleil sort avec un morceau de ciel bleu et un arc en ciel, mais les vagues sont toujours aussi violentes et menaçantes. Ross évoque à nouveau la possibilité de faire demi-tour, surtout à cause du moteur qui pourrait se mettre à surchauffer après les dégâts. La raison principale serait que la compagnie des Moorings voudrait réparer le bateau à Opua avant de le renvoyer à Tonga.


Darren nous prépare des sandwichs steak-fromage. Il profite de cette pause déjeuner bien méritée pour nous rassurer. D’après lui, on a plus de chances de continuer que de faire demi-tour. En attendant, la météo est encore trop mauvaise pour remettre le bateau en route, les vagues et le vent ne semblent pas se calmer.


En dehors de dormir et manger, on lit beaucoup, on discute… S&S se lance même dans une série de petits bacs…C’est pour dire!!! On a bien essayé de jouer aux cartes, mais on se lasse vite de ramasser la pioche, voir glisser nos trèfles par terre et retrouver nos carreaux sous les oreillers.


Mes cheveux sont maintenant vraiment sales et mon cuir chevelu me gratte…mais pas question de se doucher et encore moins de se shampouiner, car nous ne savons pas combien de temps nous aurons besoin de tenir sur nos réserves d’eau.


Ai-je précisé que : 1. Les eaux aux abords de la Nouvelle-Zélande sont connues pour être particulièrement violentes. C’est un passage que beaucoup de marins évitent sciemment. 2. Les marins n’aiment pas partir un vendredi, question de superstition. Quel jour sommes-nous partis? Un vendredi bien sûr.

Dans le bateau tout est sans dessus dessous. Nous avons très peu de photos des jours de tempête…nous ne pouvions prendre le risque d’abîmer les appareils, restés bien emmitouflés.

 

ENGLISH corner : read Stephane’s contribution


It’s a new and odd sound that gets me up at 1 or 2 am on day five. Sandie comes to the bunk and informs me – in her habitual manner – that we’re not to go beyond the cockpit to check the data: it’s too dangerous. We overhear Darren and Ross commenting the latest data: “the barometric pressure reads 1005” – “That’s what it is in the middle of it.” It’s nasty out there and they looked concerned, so in all likelihood there’s a legitimate reason to be spooked. I decide to get up and get dressed. Why? If we’re going down, I’m not going down in the nude!


As we get hit by increasingly larger waves on the beam, shifting the entire vessel, flirting with horizontality, Darren suggests throwing out the sea anchor – this means business. I’m not particularly stoked on suiting up to go outside, but when fear turns into adrenaline, you realize you have no choice. The wind is intense, constant and the rain is level. I harness myself and start helping. We grab the tires, start cutting ropes and making knots while each wave bashes us closer to what seemed like a tipping point. We rig the lot and toss it overboard. Ross motors the boat with the wind so the bow faces the waves, sheltering us from the rogue waves we’d get first every hour, then every ten minutes.


The efforts prove vain, and despite the engine power we can’t hove to, the tires are too light – the waves whack us still. We pull the two tires and the 100m of rope back on board in these staggering conditions – 100km/h plus winds, overhead breaking waves of 5m and 15m at the trough. Sandie is below rushing us tools and anxiously waiting her turn to get into the fire pit. We rig up the two tires with an extra anchor chain, split them apart and start feeding them overboard. Ross yells: “what the paint!” – sure skipper. We uneasily wait for the results and after what seemed like hours, the boat tugs on the rope and shyly drifts its stern putting the bow 20 degrees closer to the wind. We’re still beam on, but it’ll have to do. At 03h30 we seal all the hatches, sit in the cabin, drenched, looking at each other and panting until we decide there is nothing left to do, we have to wait it out.


Staring the storm in the eye was like nothing I had ever felt, and for the night to come, I am glad I had. I’m glad I know what’s out there. Standing on the bow in this storm, heaving lines, trying to tie lines, fighting for our survival – or what felt like it at the time – was nothing short of exhilarating. During my search for a ride out I had the privilege of speaking with many sailors, hearing their stories and listening to their tips. They all noted, “when it’s gets real ugly, you literally batten down the hatches, have a glass of rum and wait it out.” The irony here is that most of them never have had to actually do it. The joke was on us.


The following messages we got from Mike – when the satellite phone was working – said it’d be gone “soon… by morning or mid day.” Mike, in all his wisdom could not give us a no shit assessment on what was going on out there, and so the anticipation remained and hunkered down we did. Needless to say our night shifts didn’t occur and more times than one did I think we were going to roll during the night, with waves crashing over the boat tipping it farther that I’d thought it could go. Came morning it got not better, the only relief was but meager seconds when the boat stabilized on an ascending wave only to be smashed by the white water from above. Even stillness was no source of appeasement. Some people hate bobbing, others hate waiting.



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