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L’Inde au fil du train

Nous venons de nous installer à bord du train qui relie Tundla, au sud d’Agra, à New Jaipalguri, au sud de Darjeeling. On a bien failli le louper, les noms et numéros de la locomotive ne correspondant pas du tout à notre ticket.

Le paysage en quittant Tundla est relativement désertique. Les champs sont secs, la terre ocre craque sous le soleil déjà brûlant du matin. Quelques habitations sommaires en brique bordent les rails, parfois les nuages de poussière ternissent les murs des maisons bleu turquoise. Au milieu des champs les huttes sont en paille. Une femme en sari jaune et rose bat sa vache tandis que celle-ci lappe une flaque de boue. Tous les cinq cent mètres se dresse un temple, parfois aussi petit que ce que les arbres sont grands. Un petit troupeau de chèvres tachetées trotte le long des rails, suivi d’une petite fille en salwar-kamees rouge et bleu. Une moto la dépasse pilotée par un jeune homme en chemise jaune fluo, qui fait vrombir le moteur et retentir le klaxon. Sur un chemin entre deux terres, un jeune homme en jean’s et chemise à manches longues marche avec une allure déterminée. Impossible de deviner d’ou il vient ou où il va.

Six heures plus tard le paysage n’a pas beaucoup changé. Toujours aussi arides, les terres semblent être sur le point de s’embraser. Des bottes de foin brunes sèchent ci et là, les troupeaux de chèvres et de vaches sont plus nombreux, les arbres plus grands. Leurs branches forment des nœuds tels qu’on croirait leurs pensées tortueuses. Ou peut-être poussent-ils ainsi sous l’effet de la torture que leur inflige le soleil impitoyable, tentant de rester le plus prés du sol que possible, de crainte que leurs feuilles trop proches de la boule de feu ne s’enflamment.


Nous quittons la gare d’Allahabad. Le train surplombe les toits des maisons défoncés. Entre les bâches tenues par des briques, quelques palmiers percent vers le ciel. L’artère centrale qui relie la gare au centre-ville grouille de l’animation habituelle que provoque la circulation. Après quelques minutes l’entrechoquement de métal que provoque notre passage sur un pont me fait lever la tête. Nous traversons la Yamuna. Le fleuve s’étire, large et scintillant, prend un virage à gauche et disparaît derrière les arbres qui bordent la rive. La présence de l’eau a donné naissance à des plaines fertiles, et le paysage reflète à présent une importante palette de verts. Une barque solitaire flotte au milieu du fleuve, sûrement rattachée au banc de sable central. Son reflet est pratiquement immobile et plonge dans une lumière d’or blanc. Un hameau de huttes se dresse à quelques mètres de là. Le temps semble s’être arrêté, si ce n’est pour le linge multicolore qui flotte sur une corde entre deux arbres. Un groupe d’adolescents joue au cricket sur un terrain poussiéreux jonché de buissons.


La lumière déclinante de la fin d’après-midi agrémente tous les tons de vert et ocre d’étincelles dorées. Tout parait satine ou nacre, des troncs aux amas de terre, des murs de brique rouge en ruine aux herbes folles qui poussent entre les rails. Même la laine des moutons est recouverte d’or, et les cornes des vaches brillent comme lustrées par le soleil couchant.


Le ciel est noir à présent, le paysage est enveloppe dans une nuit opaque, dense et poussiéreuse qui recouvre tout ce qui s’étend au-delà de la fenêtre barrée du train. C’est un noir bleuté profond, comme si un pot d’encre avait coulé dans le ciel, calligraphiant l’ombre des buissons et cernant les arbres les plus hauts. Seules quelques lumières éparses donnent vie aux champs, avec lesquelles pas une étoile n’ose rivaliser. L’air est chaud et lourd, et semble écraser la surface de la terre de tout son poids.


Au réveil, vers 6h, l’air est saturé d’humidité, le soleil n’arrive pas à percer l’épaisse couche de nuages qui tapisse le ciel d’un gris pâle. Ça sied plutôt bien à ces terres d’un ocre chair, ces plantations de bananes et de mangues. Beaucoup de hameaux d’une dizaine de huttes sont disséminés entre les plantations. Les habitants s’activent déjà, certains travaillent au champ, les plus jeunes font leur toilette, les enfants sautillent sur le chemin de l’école. Leur uniforme compose d’une chemisette blanche à manches courtes et d’un short bleu marine contraste avec cet environnement résolument rural. Les montagnes sont encore trop timides pour se montrer.


La météo et le paysage ont changé radicalement pendant le trajet de 3 heures en jeep.


En quelques secondes la voiture s’est retrouvée drapée dans un épais nuage gris gonflé d’eau et en quelques minutes toute cette eau s’est déversée, aussi violemment que si elle était restée trop longtemps prisonnière. Puis en un instant, il ne restait plus que le torrent dégoulinant entre la route sinueuse et les rails du toy train pour témoigner de l’averse.

Un éclair a claqué dans le ciel, le tonnerre a grondé dans la vallée et a répercuté l’écho d’une note grave de branche en branche, la vibration glissant sur les feuilles alourdies par un tapis de grosses gouttes.

Derrière les immenses montagnes vert-bleu, un rayon de soleil a percé le ciel et on commence à distinguer la majestueuse Darjeeling.


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