Emportés par la houle qui s’élance
Lundi 13 mai – JOUR 4. Le temps ne s’est pas calmé, on navigue toujours dans la tempête.
Je tuerais pour me laver les cheveux. Ils sont plaqués par l’eau de mer, toujours humides. La dernière fois que ça m’est arrivé, je faisais le tour de la Corse en voilier avec des amis. J’avais trouvé ça formidable, car ça m’avait permis de me faire des dreadlocks en un rien de temps. Mais j’avais 15 ans. Nos vêtements ne sentent pas mauvais, mais ils sont tachés par les éclaboussures en tous genres et durcis par le sel séché. Pourtant je ne vois pas l’intérêt de sortir des habits propres. En six heures ils seront dans le même état que les autres et je ne saurai plus où les mettre, vu que rien ne sèche. Du coup, je fais bien attention à garder les sous-vêtements techniques qui me servent de pyjama bien au sec, et quand l’alarme sonne à 23h55 pour mon shift de nuit, j’enfile mes habits humides. Oui c’est désagréable, mais le corps les réchauffe vite. À 2h, je me rechange avant de retourner me coucher.
Pendant mon shift du matin, Ross me fait ajuster la voile de tête. J’adore être dans le feu de l’action, et surtout que les tâches de navigation ne soient pas entièrement réservées aux hommes. Cela dit je comprends vite pourquoi ils font la majorité des travaux de force. Malgré toute ma bonne volonté, ce n’est pas facile de tourner ces bobines, et pourtant il y a deux vitesses! J’ai besoin de mes deux mains, tenant en équilibre agenouillé sur le banc à bâbord, battue par la pluie et le vent, balancée par la houle et retenue par mon harnais de sécurité attaché au cockpit.
J’ai appris à trouver notre position sur la carte à l’aide de la règle et du compas, et j’aime beaucoup cet exercice. Ça me donne l’impression d’être une exploratrice des temps modernes.
Le quotidien reprend le dessus
Grâce à la houle et au mauvais temps, les shifts sont assez tranquilles. On reste emmitouflé à l’intérieur, assis sur les marches, ne sortant la tête que de temps en temps, surtout pour vérifier qu’il n’y a pas de bateau à l’horizon. À cause de la houle et du mauvais temps, les shifts sont assez tranquilles, et il faut bien dire qu’on s’ennuie vite. J’ai bien essayé de lire, mais j’ai vite renoncé, recevant trop régulièrement une petite vague qui fait gondoler les pages.
À midi je cuisine un plat typiquement kiwi : une purée maison avec des saucisses au four dans une sauce aux champignons appelée « bangers & mash » en Nouvelle-Zélande. Très bon, mais très lourd! On était tous ébouillantés et épuisés par la digestion. C’est comme ça qu’on apprend! Mais ça me rassure une fois de plus quant au mal de mer, qui n’a (toujours) pas pointé le bout de son nez. Si même cette recette ne m’a pas mise patraque, c’est que mon organisme peut tenir le coup! La preuve, à l’heure du goûter, il en redemande. J’opte pour un cookie au gingembre, un verre de lait et un carré de chocolat. Ross nous a équipé d’une plaquette chacun. Mais comme nous ne consommons pas tous le chocolat à la même vitesse, cette denrée bientôt rare pour certains est en train de devenir une monnaie d’échange…
D’après les nouvelles de Mike, la tempête devrait nous dépasser par l’est-nord-est d’ici demain midi. Je me suis faite à la houle, au mouvement constant et aux conditions difficiles, mais je ne détesterais pas pouvoir retourner sur le pont au soleil.
Quand on va se coucher, Stéphane compare la vie sur un bateau à une machine à laver. C’est vrai que notre fenêtre fait office de hublot, sans cesse recouvert par des trombes d’eau déversées par les vagues. Chaque fois qu’on est secoués au point de se retrouver cloués à bâbord, c’est un nouveau cycle de machine qui recommence.
ENGLISH corner : read Stephane’s contribution
On the morning of day four we plot a 90-mile progress over the last 24-hour period, as opposed to 130 and 110 the days prior. With the news of the storm brewing ahead and after correcting the course to manoeuver to the back of it, anticipation is probably the prevailing sentiment – surely the hardest to manage. We’re committed. I just want to know when it’s going to hit us. In surfing you wipe out and sure enough it’s going to whirl you around. Now, put your house, cat, dog, furniture and roll them about with a constant wish-wash, that’s us. We’ve been sailing in a steadily deteriorating environment for over 36 hours. You hear a crash, a bang and see buckets of water come cascading down the hatch and stairs… Here we go again. It’s relentless. Moving around, even going to the bathroom is a challenge. The waltz is unremitting. Everything you grab, take out, set down or serve is bound to become alive and escape with a crash. Managing your immediate setting with one hand while being bruised up is an interesting learning curb.
It’s already dark when I get up at 7 pm. I can tell it’s rougher out there. We knew the “mother of all storms” was somewhere in front of us and Ross added that, “it could be well over 100 miles wide, and we could be just on the fringe.” Trying to get information from Mike was like trying to pry a hook from a shark’s jaws, useless. We’ve been sitting on his previous update for two days and it seems like we are steaming straight into it – because it’s getting uglier by the hour! I try to remind myself – it had to get worse before it gets better. I spend my 8 to 10 pm shift crouched under the cockpit, poking my head up every now and then – not that I could actually see anything, the waves were over towering on every side. The weather got heavier still.
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